Le 15 avril 2019 Lush UK annonce être fatigué de se battre avec des algorithmes alors que l’enseigne ne souhaite pas payer pour apparaître dans le fil d’actualité de ses communautés.
Aussi les équipes ont-elles décidé de dire au revoir aux espaces qu’elles animaient directement sur “leurs réseaux sociaux”. Simultanément, elles invitent à ouvrir et, on l’imagine, à concentrer leurs investissements sur la conversation.
Sans se prévaloir de connaître la stratégie que l’enseigne a mise en place pour rendre efficients les effets d’une telle cette décision, nous allons essayer de mieux comprendre ses propos en les reprenant et essayant d’en extrapoler le sens stratégique et opérationnel.
“Increasingly, social media is making it harder and harder for us to talk to each other directly. We are tired of fighting with algorithms, and we do not want to pay to appear in your newsfeed. So we’ve decided it’s time to bid farewell to some of our social channels and open up the conversation between you and us instead.”
Les algorithmes des médias sociaux décident de ce qui apparaît sur nos newsfeeds. Ainsi, depuis le début de l’année dernière, Facebook a-t-il largement favorisé les contenus des amis versus ceux des marques. Ces dernières, si elles souhaitent que leurs contenus soient visibles alors même qu’ils sont intrinsèquement moins spontanément commentés et/ou partagés donc moins engageants, doivent investir. Un investissement supplémentaire à celui d’ores et déjà engagé à la production de contenu, l’animation des communautés et le faire savoir de leur présence sur les espaces sociaux. Une règle que Lush UK ne semble pas vouloir appliquer et qui lui fait perdre en visibilité. On peut d’ailleurs comprendre qu’une marque qui refuse globalement de s’investir dans le système publicitaire ne soit pas plus favorable à investir pour rendre son contenu visible sur les médias sociaux. C’est pourtant la règle dictée par tous les espaces numériques (médias sociaux comme sites propriétaires par le biais du SEA). Concernant les réseaux sociaux, la posture de Lush UK est renforcée par la considération que les socionautes, volontaires pour suivre la marque, sont certainement favorables à l’exposition de ses contenus. Pour autant, ils ne sont pas engagés avec ces derniers. Si on considère la loi de 1-9-90, force est de rappeler que 90% des individus sont passifs sur les réseaux sociaux. Ils peuvent donc apprécier un contenu sans pour autant le liker et encore moins le partager et/ou le commenter.
“Lush has always been made up of many voices, and it’s time for all of them to be heard. We don’t want to limit ourselves to holding conversations in one place, we want social to be placed back in the hands of our communities – from our founders to our friends.”
Ne pas limiter la part de voix à l’expression social media. Même si en 2019, on estime à environ 2,77 milliards le nombre d’utilisateurs des médias sociaux dans le monde, comparés aux 7,637 milliards d’individus sur terre même en soustrayant les enfants (environ 2,2 milliards) c’est moins de la moitié de la population mondiale et 67%* de la population de Grande-Bretagne. Il s’agit d’entendre et de prendre en considération tout le monde et pas seulement les individus actifs sur les réseaux sociaux ou les parts de voix auxquelles ces derniers nous donnent facilement accès. De plus, la marque ne souhaite pas limiter les conversations en un seul endroit sur lequel elle peut les gérer voire les orienter. Elle préfère les étendre et surtout décentraliser leurs initiatives. On peut entendre ici une véritable volonté de s’appuyer sur le brand advocacy en laissant à ses communautés la possibilité d’initier et surtout d’animer les conversations. Une dimension recherchée par de nombreuses marques, que Lush UK ambitionne certainement d’atteindre. Plus que de gérer les conversations sur ses uniques espaces sociaux, la marque peut s’en destituer en donnant envie aux communautés de s’en emparer. Un peu comme sur les forums que des marques, parfois décriées par ailleurs, ont su mettre à la disposition des communautés. Cette démarche favorise d’une part, la concentration des critiques sur un unique espace et, d’autre part, les réponses, voire la défense, par les communautés elles-mêmes.
“We’re a community and we always have been. We believe we can make more noise using all of our voices across the globe because when we do we drive change, challenge norms and create a cosmetic revolution. We want social to be more about passions and less about likes.”
Ici, Lush UK appelle de nouveau à la diffusion généralisée des conversations afin qu’elles ne se limitent pas aux réseaux sociaux. Cette potentielle dynamique modifie les relations historiquement établies entre une marque et ses publics. En effet, les marques n’ont jamais eu pour habitude de converser avec leurs publics. Si ce ne sont les conversations engendrées avec les services clients et qui évoluent dans le cadre d’une relation one to one, avant les réseaux sociaux la conversation n’était pas une discipline pratiquée par les marques . C’est une des raisons qui certainement a rendu compliqué leur investissement initial sur les réseaux sociaux. Converser directement avec leurs publics en s’exposant à plusieurs milliers, voire millions d’entre eux, est une discipline à laquelle elles ont dû s’exercer. Il reste d’ailleurs difficile pour nombre d’entre elles. Ainsi si 85% des clients attendent sur Facebook une réponse à leur question en moins de est de moins de 6 heures, elle est en réalité effectuée un jour 3 heures et 47 minutes**. La conversation n’est pas historiquement dans la culture des marques qui ont été pendant des années plus amenées à communiquer en mass media voire en marketing direct mais jamais en public et en temps réel. Même si les marchés sont devenus des conversations, le fait de ne plus les subir mais, au contraire, de les stimuler ne serait donc pas qu’une “cosmetic revolution !“
“We believe it’s time to stop talking, and start listening. So that’s what we’re doing. You can still get sneak peeks and news from our inventors, founders, and everyone else who makes Lush what it is. You can join in conversations with our staff, friends and shop social media accounts on their pages and on hashtags like #BathArt, #LushLabs, #LushMakeup (let’s face it, anything that starts with #lush).”
Le listening est un des enjeux majeurs du social media marketing. Nous pouvons comprendre ici que Lush UK va écouter les espaces numériques en temps réel afin d’avoir une vision toujours actualisée de ce qui est dit sur la marque et de rester en contact avec ses communautés de façon fluide et simple, notamment grâce aux hashtags qui permettront d’isoler facilement les conversations et d’y répondre. Là encore, Lush UK ne semble pas cesser les conversations mais les généralise, les étend et facilite leur accès sur les réseaux sociaux. Des espaces, des animateurs et des conversations multipliés, il semble que ce soit la promesse ici véhiculée.
“Plus there are plenty of other places to take a dip into the Lush world, from our shops, events, and Customer Care team, to our digital platforms. Soak up fresh content on Lush Player and Lush.com, give feedback about exclusive products on Labs.lush.com, and engage with us and the latest digital experiments on the Lush Labs app.”
En conclusion, sur les espaces numériques, Lush UK ne capitalise que sur l’organique et le earned. Cette démarche fait d’ailleurs partie intégrante de son approche de l’univers publicitaire au sens large. Aussi, l’enseigne UK n’a-t-elle jamais souhaité s’appuyer sur la fonction “media” des réseaux sociaux. Considérant que les contenus de marque devraient être traités dans une dynamique plus “sociale”. A savoir, être davantage exposés à ses abonnés et, dans tous les cas, au-delà des 6% que l’analyse de ses performances sur les réseaux sociaux a révélé. Nous pouvons donc imaginer que Lush UK n’activera pas de campagnes de social ads après le 15 avril. Au-delà des valeurs qui l’animent, investir un plan d’achat d’espace sur les réseaux sociaux aurait pu être une orientation stratégique. Elle aurait pu soutenir le trafic et les conversations vers, par exemple, son site ou d’autres espaces propriétaires. Une dynamique qui, si elle aboutit à l’embasement de leads, permet véritablement de “louer” des third-party data et de les rendre siennes. Ainsi, un call to action motivant peut engendrer une remontée d’adresse. Elle permet alors à la marque d’animer ses communautés directement et par ses véritables propres moyens. De façon générale, les marques ne saisissent pas suffisamment cette opportunité d’investir un achat d’espace de précision dans l’unique objectif de renvoyer vers leurs espaces propriétaires. L’achat d’espace sur les réseaux sociaux est un investissement comme sur tout média, à la différence que le contenu des réseaux sociaux est produit par ses lecteurs et les marques. Une aspérité qui permet, en outre, aux plateformes de disposer de datas très qualifiantes sur ses publics. Ainsi, alors qu’il y a encore quelques années personne ne comprenait quel était le business model de Facebook, la publicité représente aujourd’hui environ 98% de ses revenus.
L’initiative de Lush UK sera-t-elle suivie par d’autres marques ? Certaines inscriront-elles les réseaux sociaux dans une stratégie uniquement média de précision pour, in fine, renvoyer leurs publics bien adressés vers leurs espaces propriétaires qui devront alors être investis de contenus suffisamment intéressants pour donner envie de communiquer son adresse mail ?
*https://www.avocadosocial.com/latest-social-media-statistics-and-demographics-for-the-uk-in-2019/ **https://blog.hubspot.com/service/social-media-response-time
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